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L’arrivée de l’électricité à Plouguenast

Texte signé de Monsieur Joseph Hamon

Ayant eu la chance de fréquenter et de bien connaître celui qui fit de Plouguenast l’une des toutes premières agglomérations françaises à s’éclairer à l’électricité, je m’étais toujours promis d’écrire ce que je savais de cette aventure. Car c’est bien d’une aventure qu’il s’agit.

L’histoire amusera les Plouguenastais de moins de 50 ans, quant aux plus de 70 ans, cela leur rappellera quelques bons souvenirs.

Découverte de la dynamo

Commençons par le début : nous sommes en 1900 ; cette année-là, Paris avait organisé une grande exposition universelle qui avait attiré des visiteurs du monde entier et parmi ces visiteurs, deux Plouguenastais, deux frères : Pierre et Mathurin MOUNIER.

Ces deux hommes curieux et avides d’apprendre, décidèrent de se rendre à Paris afin de voir de leurs yeux ce qui se faisait de mieux dans le monde en ce qui concerne l’industrie, l’aviation naissante, l’automobile, les machines agricoles, etc.

Il faut dire que nos deux héros étaient des ouvriers aptes à tout faire : serrurier, forgeron, soudeur, maréchal-ferrant, tôlier et j’en passe. A cette époque, un déplacement à Paris était une expédition qui coûtait cher tant en transport qu’en hébergement et nourriture. C’est pourquoi nos voyageurs partirent avec de nombreuses provisions de bouche dans le but d’économiser le plus possible sur les notes de restaurant. Par contre, impossible de se passer de l’hôtel et il fallut débourser 3 francs pour chaque nuit d’hôtel.

C’était beaucoup d’argent. Je sais bien que cette somme fera sourire nos jeunes amis mais pour situer la dépense dans le temps, il faut savoir qu’à l’époque, un ouvrier maçon par exemple gagnait moins de cinq sous de l’heure, soit environ 20 centimes de maintenant. Au diable l’avarice, Pierre et Mathurin sont à Paris et bien décidés à profiter au maximum de leur séjour.

Ils se rendent immédiatement à l’exposition. Quel enchantement ! Tout est merveilleux. Ils veulent tout voir.

Des machines extraordinaires sont exposées. Le stand de l’électricité attire particulièrement leur attention.

Un technicien est là qui répond à toutes les questions que lui posent nos amis :

- Qu’est-ce que c’est cette machine ?

- C’est une dynamo, répond le technicien, ça sert à faire de l’électricité.

- Comment ça marche ?

- C’est simple, pour fabriquer de l’électricité, il suffit de faire tourner cette machine avec une source d’énergie quelconque (moteur à pétrole, machine à vapeur, moulin à eau, moulin à vent, etc.…)

- Est-ce que ça peut marcher longtemps sans entretien ?

- Oui, elle peut marcher plusieurs années sans difficulté.

- Combien coûte-telle ?

- Cher, très cher.........

- On verra, dit Mathurin, car déjà une idée a germé dans sa tête.

Le retour à Plouguenast se fera sans histoire.

Il est temps maintenant de faire plus ample connaissance avec nos deux personnages. Il s’agit de deux hommes tout à fait remarquables.

Pierre MOUNIER

Parlons d’abord de Pierre, l’aîné. Il naquit en 1868. Il fit quelques études à l’école primaire de Plouguenast. D’une santé fragile, il devra toute sa vie, suivre un régime draconien. Il sera toujours très maigre, légèrement voûté, même un peu bossu à la fin de sa vie. Ces lacunes physiques seront largement compensées par une vive intelligence, un enthousiasme sans pareil, une imagination débordante et un ardent désir d’apprendre qui l’amèneront à lire beaucoup. C’est ainsi qu’il s’intéressera à la physique, à l’aviation, à l’électricité bien sûr, mais aussi à la philosophie et à l’histoire.

A Plouguenast, Il était surtout connu sous le nom de Pierre Bondé. En effet, il avait l’habitude de dire Bondé à chaque phrase. Combien de fois l’ai-je entendu me dire pendant les longues conversations que j’ai eues avec lui « Ah bondé, si j’avais une bonne santé, je ferais ceci, je ferais cela. Ah bondé, si j’avais été à l’école, j’en aurais fait des choses ! » Nous verrons plus loin que malgré les handicaps signalés plus haut, il fit tout de même beaucoup de choses dans sa vie et en particulier le rôle qu’il tint dans l’installation et le fonctionnement de l’électricité à Plouguenast. Il mourra en 1935 miné par la tuberculose.

Mathurin MOUNIER

De Mathurin, je ne dirai pas grand chose car je ne l’ai pas connu. Je sais seulement qu’il était instruit car il avait envisagé d’entrer au séminaire, ce qui l’avait amené à faire des études secondaires. De 2 ans le cadet de Pierre, il mourra à 37 ans également de la tuberculose, la terrible maladie que l’on ne savait pas guérir à cette époque. Sur la fin de sa vie, Il s’adonnera au spiritisme, à la magie et aux sciences occultes.

Pierre disait de son frère « Mathurin, c’était un génie, il comprenait tout, je n’arrivais pas à suivre ses raisonnements ». Il semble en effet que c’est Mathurin qui prendra les initiatives qui amèneront l’installation de l’usine électrique de Plouguenast. Cet homme tout à fait exceptionnel avait une idée nouvelle chaque matin d’après ce que m’en a dit son frère. Il avait fait un nombre important d’inventions qui restèrent sans suite, faute de moyen de réalisation.

La principale de ces trouvailles fut sans conteste la conception et le début de réalisation d’une machine à coudre avec laquelle il n’était pas nécessaire de refaire la navette qui a toujours été le cauchemar des couturières. Aujourd’hui encore, des grands constructeurs de machines cherchent en vain une solution à ce problème.

Cette machine, je l’ai vue en 1931 dans le grenier de la maison où habite actuellement Lucien Serinet. Elle était très grossière et devait peser au moins 40 kgs. La maladie de Mathurin et sa mort mirent fin à la réalisation de l’engin. Pierre me dit un jour qu’il connaissait bien le principe que son frère voulait mettre en Å“uvre et donc qu’il aurait pu terminer la machine mais que ce travail lui abrègerait sa vie de 10 ans, ce qui ne l’intéressait évidemment pas.

Maintenant que nous connaissons bien les deux frères Mounier, revenons en 1905 ! Quatre ans s’étaient écoulés depuis la visite à l’exposition de Paris. Pierre et Mathurin avaient travaillé dur et amassé un peu d’argent. Mathurin n’avait pas oublié la dynamo de Paris.

Le moulin de Pontgamp

Il se trouva qu’un moulin fut à louer au Pontgamp, là où habite actuellement Albert Voyer. Ce moulin était alimenté en eau par une dérivation du Lié passant dans le parking actuel du Multiservice. La vanne d’alimentation était située sur le coté droit de la route allant vers Loudéac. Un canal souterrain traversait la route pour permettre l’écoulement de l’autre côté. Je dis ceci pour les plus jeunes de nos compatriotes car ce canal n’a été obstrué que depuis quelques années.

Mathurin vit tout de suite l’intérêt de ce moulin qui était placé au milieu du bourg et du Pontgamp. Il décida de le louer mais auparavant il s’informa des expériences déjà réalisées dans certaines grandes villes de France. Il faut savoir qu’à cette époque, on s’éclairait encore au gaz dans la plupart des villes françaises. Pensant avoir suffisamment d’arguments, Mathurin reprit le chemin de Paris, emportant toutes ses économies et un peu d’argent prêté par des amis. Il revenait quelques jours plus tard, ayant fait l’emplette de la fameuse dynamo.

Deux mois plus tard, Alexis Presse, le voiturier de Plouguenast attelait deux de ses solides percherons et allait prendre la livraison de la machine à la gare de Lamballe. A ce moment, les frères Mounier pensent qu’un grand pas a été fait. En effet, les hommes, le moulin, la machine sont à pied d’œuvre. Pourtant, c’est maintenant que les vrais problèmes vont se poser !

Tout d’abord, le vieux moulin va s’avérer inadapté à l’usage qu’on voulait en faire. La vieille roue à Aubes dut être refaite entièrement. Le bief d’arrivée d’eau dut être élargi et approfondi. Tout cela demanda du temps et de l’argent. Mais que dire du courage et de la persévérance dont firent preuve les deux frères pour résister aux critiques et aux moqueries des badauds qui assistaient aux travaux. Pensez-donc, voilà deux farfelus qui prétendaient éclairer les maisons sans chandelles.

Premiers essais

Malgré les difficultés, les travaux avançaient. Bientôt la dynamo fut installée dans l’ancien moulin qui devint pour les frères Mounier, "L’USINE". C’est ainsi que s’appellera désormais le bâtiment. Quelques essais furent effectués en cachette mais les résultats s’avérèrent médiocres pour ne pas dire décevants. La dynamo tournait trop lentement, si bien que le filament des ampoules rougissait à peine, ce qui ne donnait guère de lumière. On obtenait à peine 60 volts au lieu des 110 espérés. On changea la démultiplication des roues de transmission, on chercha toutes les combines possibles pour augmenter la vitesse de rotation de la dynamo. Après bien des tâtonnements, on obtint enfin une centaine de volts, ce qui donnait une lumière très convenable.

C’est alors que Mathurin décida de frapper un grand coup. D’abord, pour confondre ses détracteurs, ensuite pour montrer à la population de Plouguenast qu’il n’était pas aussi fou qu’on le disait, enfin pour faire en vraie grandeur un essai des possibilités de transport du courant électrique.

Pour ce faire, on tira deux fils qui partaient de l’usine pour aboutir à la maison de Mathurin qui se trouvait située au-dessus de la maison actuelle de Fernand Salmon. La distance était d’environ 350 mètres. Une lampe témoin fut fixée sur le mur extérieur de la maison et une équipe d’une dizaine d’hommes se posta, à distance respectueuse de l’ampoule, avec pour mission de contrôler l’allumage éventuel. Cette équipe pouvait être vue d’une deuxième équipe qui, elle, était postée sur la route près du moulin. Quand tout le monde fut en place, l’équipe du haut donna le signal de mise en route à l’aide de signaux à bras convenus à l’avance. On leva la bonde et le moulin se mit en route lentement, entraînant la fameuse dynamo. Au début, il ne se passa rien puis petit à petit, au fur et à mesure de l’augmentation de la vitesse du moulin, le filament de l’ampoule prit une petite teinte rosée et enfin une véritable luminosité.

Le pari était gagné !

Les deux équipes furent bientôt réunies chez Paul Georgelin, le cafetier d’en face où l’événement fut arrosé copieusement. Mon beau-père, Joseph Ruello qui faisait partie de l’équipe du haut m’a raconté cet événement.

Et la lumière fut...

Devant une telle réussite, on pourrait penser que tous les habitants de Plouguenast allaient se précipiter chez les frères Mounier pour demander l’installation d’une lampe chez eux ! Et bien, pas du tout. Au contraire, on regarde avec méfiance cette lumière qui passait dans des fils de fer. D’autant plus qu’un voyageur venant de Nantes affirmait qu’un homme qui avait touché un fil électrique était tombé raide mort. Il fallut attendre plusieurs mois avant qu’un courageux autorise l’installation d’une lampe dans sa maison. Chaque soir, les voisins venaient admirer le magnifique éclairage qui remplaçait avantageusement plusieurs lampes à « oriflamme ».

Aucun incident n’étant survenu, d’autres personnes demandèrent l’installation d’une lampe chez eux. C’est ainsi que petit à petit, tous les habitants du bourg et du Pontgamp eurent bientôt au moins une lampe dans leur habitation.

Tous ces travaux avaient coûté cher et les finances des frères MOUNIER étaient au plus bas, aussi décidèrent-ils de monnayer leur travail et leur matériel. Le problème n’était pas simple à résoudre. En effet, vendre de l’électricité n’est pas aussi aisé que de vendre du blé ou des pommes de terre. De nos jours, les employés de l’E.D.F passent dans nos maisons et lisent sur le compteur les quantités d’électricité dépensée depuis leur dernier passage. C’est très simple. A Plouguenast, en 1906, il n’était pas question d’installer un compteur dans chaque maison. Il fallut trouver autre chose. Les frères Mounier optèrent pour un abonnement annuel qui serait payé en fin d’année en fonction du nombre de lampes installées chez chaque abonné. Exemple : pour une lampe, 15 francs (en 1913), pour trois lampes, 45 francs.

Développement et résolution des problèmes

Le système semblait simple et fonctionna quelques années jusqu’à ce que certains abonnés, trouvant la note trop élevée, demandèrent une diminution du tarif, arguant du fait qu’ils n’utilisaient qu’épisodiquement certaines lampes. Pierre Mounier trouva la solution en installant des "va et vient" dans chaque maison. C’est ainsi que quand on éteignait une lampe dans une pièce, une autre lampe s’allumait dans une autre pièce. Je me souviens très bien que chez moi, la cuisine et la chambre de ma mère étaient couplées. Chaque soir, en allant se coucher, ma mère tournait un bouton qui bifurquait le courant de la cuisine vers sa chambre. Il n’y avait donc qu’une lampe à fonctionner en permanence, ce qui ne justifiait qu’une seule redevance annuelle. J’ai même vu 3 lampes alimentées par le même circuit.

Ce système permettait de ne payer qu’une fois plusieurs utilisations. Ce procédé astucieux avait tout de même un gros inconvénient. En effet, si l’on avait besoin d’éclairer deux pièces à la fois, il fallait en sacrifier une. C’est pourquoi les lampes à huile et les bougies restèrent toujours à portée de main. Les problèmes internes étant résolus, il restait à assurer le fonctionnement général de l’installation. Le Lié n’étant pas le Mississipi, il apparut rapidement aux frères Mounier qu’on risquait de manquer d’eau si le moulin marchait trop longtemps sans interruption. Il fallut régler les heures de marche en fonction des saisons et des disponibilités en eau.

Voici comment les choses se passaient. L’usine était mise en route le matin entre 5 heures et 5 heures 1 /2 suivant les saisons et arrêtée dès qu’il faisait jour. Le soir, on remettait en marche à la tombée de la nuit avec arrêt impératif à 22 heures jusqu’au lendemain matin. En fait, on ne se servait pratiquement pas des interrupteurs. Les lampes s’allumaient avec la mise en route de l’usine et s’éteignaient avec son arrêt. Ce qui explique que le pays vivait à l’heure de l’usine. On se levait quand la "chandelle" s’allumait et le soir, tout le monde était au lit à 22 heures.

La petite anecdote suivante montrera à quel point le pays était conditionné par l’usine. Un jour, Guillaume Serandour, qui était mitron chez Victor Presse à la Côterette, eut un travail de nuit à effectuer dans son pétrin. Comme il était très copain avec Pierre Bondé, il lui demanda l’autorisation de mettre lui-même l’usine en route afin d’avoir de la lumière pour faire son travail. Comme c’était en saison hivernale, l’eau ne manquait pas ; aussi, Pierre donna son accord. Serandour, qui habitait au Pontgamp, passait obligatoirement devant la bonde pour venir à la Côterette, aussi il n’eut aucun effort à faire pour lever la vanne d’alimentation du moulin, ce qui eut pour conséquence d’éclairer toutes les maisons du bourg et du Pontgamp.

Or, il n’était que 3 heures 1/2 du matin. Pierre Martin, le bedeau, réveillé en sursaut et encore à moitié endormi jeta un coup d’oeil sur son réveil, se trompa d’aiguille, lut 6 heures 1/4 au lieu de 3 heures 1/2, enfila son pantalon en vitesse et monta quatre à quatre l’escalier de la tour de l’église pour sonner une Angélus d’autant plus vigoureuse qu’il la croyait en retard d’une demi-heure. Ce carillonnement intempestif réveilla le curé, qui à peine habillé, se précipita à la sacristie et se mit en devoir de revêtir les ornements sacerdotaux.

Quelques pieuses paroissiennes mal réveillées, arrivaient à l’église quand quelqu’un vint dire qu’il devait y avoir une erreur quelque part puisque les deux horloges de sa maison, qui n’avaient pas fait la moindre erreur depuis 25 ans, annonçaient toutes les deux quatre heures. Ceux qui s’étaient levés se recouchèrent, les réveillés se rendormirent et cela donna un bon sujet de conversation pour le lendemain.

Cette petite parenthèse étant close, revenons à notre affaire. Le système, tel que nous l’avons vu plus haut, fonctionna pendant 30 ans, mais ce ne fut pas sans difficultés pour Pierre Bondé. Il eut à faire face à trois problèmes.

  1. Difficulté d’approvisionnement en eau surtout en été.
  2. Nécessité d’avoir quelqu’un tout au long de l’année pour assurer la mise en route et l’arrêt de l’usine.
  3. Assurer l’entretien des installations intérieures et extérieures.

Voici comment Pierre réussira à faire face à ces difficultés au prix de beaucoup de travail, d’astuce et d’imagination.

Pour l’approvisionnement en eau, nous savons que les réserves étaient très limitées. L’hiver, le Lié a un débit important, ce qui assurait la marche du moulin sans trop de problème malgré les besoins en électricité forcément plus grands en cette période de l’année. L’été, il en était tout autrement et il était fréquent de voir la luminosité des ampoules diminuer à la même fréquence que le débit du Lié. Les vieux Plouguenastais se souviennent certainement des baisses de tension en fin de soirée et que les 25 "bougies" annoncées sur l’ampoule étaient loin d’être atteintes.

Là où la situation devenait dramatique, c’est quand un événement important nécessitait la prolongation de l’électricité après 10 heures du soir ! Ce cas se produisait au moins une fois l’an à l’occasion des courses de Plouguenast qui avaient lieu sur deux journées fin août ou début septembre dans une période où le Lié était pratiquement à sec. Pendant ces deux soirées, la demande en électricité était grande. Pensez-donc, chaque bistro (il y en avait une quinzaine entre le bourg et le Pontgamp) organisait un bal public sur la route en face chez lui. Cela nécessitait l’installation d’au moins une lampe accrochée à un coin de mur dans le but de moraliser autant que faire se pouvait un bal pas mal décrié du fait qu’il avait lieu la nuit.

D’autre part, le comité des fêtes organisait lui aussi son bal annuel payant sur la place de l’église. Cette place, caillouteuse et mal nivelée, avait été recouverte au préalable d’une épaisse couche de "Frou", ce qui rendait les évolutions plus aisées mais nécessitait un sérieux brossage des costumes et des robes le lendemain. Ce grand bal absorbait à lui seul six lampes supplémentaires, deux pour l’orchestre et une aux quatre coins du bal. C’était la grande fête et toutes les jeunes filles étaient autorisées à aller danser car l’éclairage permettait aux parents parqués derrière les barrières, de garder un Å“il vigilant sur leur progéniture tout en devisant avec les autres parents.

Pierre Mounier ne voyait pas sans angoisse arriver ces deux fournées ! Il y avait deux moyens de faire face au problème posé. D’abord, faire des réserves d’eau et ensuite rechercher des appuis au moment de l’utilisation de cette eau. C’est ainsi que dans les huit jours précédant les courses, Pierre et quelques bénévoles mettaient des poteaux et des arbres en travers des "Errusses" dans le but de surélever la retenue d’eau et d’augmenter ainsi la capacité de stockage. L’ennui, c’est que ce procédé avait pour effet d’arrêter complètement le cours du Lié, ce qui n’arrangeait pas du tout les meuniers situés en aval du barrage. Par contre, il fallait composer avec ceux situés en amont pour leur demander de moudre à une heure bien déterminée le jour des courses de telle sorte que l’eau arrive au Pontgamp au meilleur moment, soit vers 10 ou 11 heures du soir.

C’est ainsi que grâce à une bonne entente entre tous, les choses s’arrangeaient au mieux. D’autant plus que les courses de Plouguenast étaient à cette époque un événement qui intéressait tout le canton. Le dimanche avait lieu les courses de chevaux qui étaient classées avec pari mutuel, tribunes, etc... Le lundi, les courses de bicyclettes étaient réputées parmi les plus importantes de Bretagne. Les prix nombreux et substantiels attiraient la crème du cyclisme breton, ce qui faisait dire qu’il s’agissait là d’un vrai championnat de Bretagne sans en avoir l’appellation officielle.

Nous nous sommes un peu éloignés de notre sujet, mais je pense qu’il n’est pas sans intérêt de faire un peu d’histoire du pays à l’occasion de ce récit. Revenons à notre moulin qu’il fallait mettre en route de bonne heure le matin et arrêter le soir comme nous l’avons vu plus loin. C’était une servitude énorme pour Pierre Bondé qui habitait à une certaine distance de l’usine. Pendant quelques années, le service fut assuré par Paul Alanet qui logeait dans une petite maison, maintenant détruite, située juste en face de l’usine.

A la mort de Paul, il ne se trouva personne pour le remplacer. "Bondé de Bondé" se dit Pierre, c’est moi qui vais être obligé de faire ce travail. Effectivement, c’est lui qui, été comme hiver régula la marche de l’usine. Le plus pénible pour Pierre était l’obligation d’attendre 10 heures du soir pour arrêter le moulin alors que, surtout l’hiver, il aurait aimé se coucher tôt. Cette servitude l’amena à rechercher un moyen mécanique qui le délivrerait de cette besogne. Il trouva la solution grâce à une installation complexe mais combien astucieuse. En gros, le principe était le suivant. Une horloge à poids génialement bricolée fut installée dans l’usine et réglée de telle sorte qu’à 10 heures pile, un poids de 2 kilos tombait sur un levier qui par son abaissement embrayait une poulie reliée elle-même à l’aide d’une courroie de transmission à la vanne d’arrivée d’eau au moulin. Cela semble simple à raconter mais ceux qui ont vu comme moi cette installation, ont envie de crier au génie. Ce procédé fonctionna parfaitement jusqu’à la fermeture de l’usine. Le problème de l’arrêt étant résolu, il restait à trouver un moyen de mise en route le matin. La solution était pratiquement trouvée quand l’E.D.F officielle vint kidnapper littéralement toute l’œuvre des Frères Mounier et réduire à néant 30 années de travail.

Ce véritable vol eut lieu en 1935, il y a un peu plus de 50 ans. C’est la Compagnie LEBON qui avait l’exclusivité de l’électricité dans cette partie de la Bretagne qui s’appropria le plus légalement du monde d’ailleurs, toutes les installations qu’elle s’empressa de démolir pour y mettre les siennes qui étaient évidemment beaucoup plus modernes.

Avant ce temps, Pierre assura seul tous les travaux d’installations intérieures et extérieures. C’est toujours la nuit qu’il venait faire les réparations et les installations nouvelles. Pourquoi la nuit ? Parce que ne disposant d’aucun appareil de mesure, c’est au toucher des fils qu’il pouvait différencier les fils conducteurs des neutres. Il prenait souvent de bonnes châtaignes mais cela ne semblait pas le gêner outre mesure. Les lignes extérieures étaient supportées par des poteaux en bois composés le plus souvent de jeunes arbres mal équarris et plantés un peu n’importe où.

Cette organisation avec ses défauts et ses lacunes fonctionna pendant 30 ans à la satisfaction générale. On pourrait penser qu’une telle infrastructure qui avait une valeur commerciale certaine, donnerait lieu à une indemnité compensatrice ou à un rachat, comme cela s’était produit dans certaines villes. Il n’en fut rien. La Compagnie LEBON, comme elle en avait légalement le droit, refusa toute indemnité prétextant qu’aucune licence d’exploitation n’ayant jamais été demandée, elle arrivait dans un pays où il n’y avait rien avant son arrivée. Pierre Mounier essaya bien de protester mais juridiquement, sa position était indéfendable et il dut s’incliner. Bien entendu, sa peine fut immense et pour manifester son amertume, il ne voulut jamais prendre un branchement à la Compagnie LEBON, si bien que jusqu’à sa mort il s’éclaira à la bougie. Quel paradoxe !!!

L’arrivée de l’électricité officielle

Bien évidemment, l’arrivée de l’électricité officielle était un progrès pour le pays puisqu’elle permettait l’électrification de toute la commune, ce qui n’était pas le cas avant. Je ne voudrais pas terminer cette histoire sans dire quelques mots de la vie de Pierre Mounier. Comme je l’ai dit plus haut, c’était un homme d’une santé fragile. Héréditairement tuberculeux semble-t-il (rappelons que Mathurin son frère était mort tuberculeux à l’âge de 36 ans en 1906), il réussira à vivre 30 ans de plus que son frère grâce à une hygiène de vie monastique. Pas d’alcool, pas de tabac, pas de femme (il ne se mariera jamais), une alimentation qui sans être particulière était tout de même rigoureuse, grâce à la surveillance constante de Mademoiselle Marie-Louise Mounier, sa cousine dont nous dirons un mot plus loin. Car c’était un personnage pittoresque et en quelque sorte une figure du vieux Plouguenast. Un élément important de la vie de Pierre Mounier était sa sieste journalière qu’il n’aurait manquée pour rien au monde. On le voyait été comme hiver, et quel que soit le temps, partir sur le chemin du Val après son déjeuner avec sous un bras L’OUEST ÉCLAIR et sur l’autre son imperméable couleur mastic. L’hiver il portait un pardessus et parfois il ajoutait une couverture sur ses épaules. Les passants pouvaient le voir allongé tranquillement sur le bord du chemin lisant son journal ou dormant tout simplement. Par temps de pluie, il trouvait une excavation sous un rocher ce qui ne manquait pas sur ce chemin qui n’était qu’une suite de carrière de pierres.

Comme je m’étonnais un jour devant lui de cette constance pour sa sieste, il me répondit que dans les sanatoriums, l’essentiel des soins consiste à exposer les malades le plus possible à l’air libre ! Après sa sieste qui durait parfois 2 heures, il rentrait dans son atelier et vaquait à son travail qui consistait surtout en réparation de petits appareils ménagers que personne d’autre que lui ne savait ou ne pouvait faire dans le pays. On lui recommandait aussi parfois des travaux de ferronnerie d’art pour des portes d’entrée ou des clôtures. Là où il était à son affaire c’est quand un cultivateur venait lui demander la confection d’une pièce introuvable dans le commerce pour une vieille machine agricole.

Comme promis, nous allons dire un petit mot de Marie-Louise, la cousine qui dégagea Pierre de toutes les contingences matérielles (ménage, cuisine, habillement, etc...). Ils vécurent l’un à côté de l’autre pendant de nombreuses années. Pourtant il est rare de rencontrer deux êtres aussi différents :

Elle : grande, élancée, distinguée, toujours tirée à quatre épingles, légèrement dominatrice, esprit critique s’il en fut, bonne chrétienne ; elle avait été au couvent quelque temps dans le but de devenir religieuse.

Lui : petit, courbé, bon enfant, pas coquet pour deux sous et un tantinet mécréant par-dessus le marché.

Avec deux tempéraments aussi opposés, les frictions étaient nombreuses. C’est ainsi qu’on pouvait entendre Marie-Louise reprocher à son cousin son manque de foi et lui prédire une damnation certaine. Pas si sûr, répondait Pierre. Dieu qui me connaît bien me choisira avant toi, ne serait-ce que pour ne pas t’entendre médire de ton prochain. Ah les hommes ! reprenait Marie-Louise, le meilleur ne vaut rien. Quoi ! rétorquait Pierre. Comment oses-tu dire des choses pareilles ! Toi qui avais choisi le meilleur d’entre eux, tu n’as pas pu le supporter plus de quelques mois. Comme on le voit, Pierre Mounier avait aussi de l’humour. Voilà brièvement racontée, l’histoire d’une vie mais aussi celle d’un homme qui fait honneur à notre commune. Je ne sais ce qu’est devenue la fameuse dynamo qui changea la vie des Plouguenastais. Je crois qu’elle fut achetée par Jean Hamon du Petit Moulin. Il serait peut-être intéressant de la rechercher et si on la retrouve, de l’exposer dans une sorte de petit musée avec une biographie de Pierre et Mathurin Mounier. Cela ne serait certainement pas sans intérêt pour les jeunes Plouguenastais d’aujourd’hui et ceux des générations à venir.

Plouguenast, août 1986

Joseph HAMON

mardi 20 janvier 2009